Des droits bafoués aux réformes nécessaires : quelle justice pour les béninois ?



Le Bénin longtemps considéré comme un modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, voit aujourd'hui son image ternie par des restrictions croissantes en matière de droits humains, particulièrement en ce qui concerne la liberté d'expression. Depuis l’adoption de la loi N°2017-20 portant Code du numérique en République du Bénin, plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer des atteintes aux libertés fondamentales. Alors que les autorités justifient ces restrictions par des préoccupations sécuritaires, notamment dans le nord du pays, cette législation a engendré une répression accrue à l’égard des journalistes, des blogueurs et des citoyens critiques du gouvernement.


Une loi sous couvert de sécurité nationale


Le code du numérique, censé réguler les communications en ligne est devenu un outil de répression dressé contre ceux qui osent critiquer les actions du gouvernement. Cette loi prévoit des peines d'emprisonnement pour la diffusion de fausses informations, une notion vague qui permet de cibler facilement les journalistes et activistes. Le cas de Maxime LISSANON en est un exemple frappant : ce journaliste arrêté en janvier 2023 a été accusé d'« incitation à la rébellion » après avoir émis des opinions critiques sur le déroulement des élections législatives via les réseaux sociaux. Son emprisonnement reste le symbole d'illustration des élans d'instrumentalisation à des fins de musèlement de la presse.


Virgile AHOUANSE, directeur de l'information de la station de radio en ligne Crystal News, a également subi un harcèlement judiciaire sois le poids de cette loi. Son enquête sur des exécutions extrajudiciaires par la police républicaine à Porto-Novo lui a valu une condamnation pour « diffusion de fausses informations ». Ces journalistes, pourtant garants de l’information libre sont devenus des cibles dans un climat où la liberté d’expression fait l'objet de graves restrictions. Sous prétexte de protéger l'intégrité nationale, cette loi réduit considérablement la liberté d'expression, pourtant essentielle à une bonne santé démocratique. Il est impératif de réviser cette loi pour clarifier les termes qui prêtent à confusion et protéger les citoyens contre des accusations arbitraires.


Une réforme du code devrait inclure des garanties contre l’utilisation abusive des sanctions et assurer que seuls des cas vérifiés de désinformation grave soient poursuivis. Le gouvernement pourrait également instaurer une commission indépendante pour modérer l’application de cette loi.


Le poids de la menace terroriste dans le nord


Le nord du Bénin en proie à des attaques armées depuis 2019, est une autre justification utilisée par les autorités pour maintenir un contrôle étroit sur la liberté d'expression. En août, la libération de 127 personnes accusées d’appartenir à des groupes terroristes démontre la complexité de la situation sécuritaire. Cependant, sous couvert de cette menace, les autorités imposent un climat de censure, interdisant le droit de grève dans des secteurs clés comme les transports, les hydrocarbures, l'éducation et bien d’autres. L’argument sécuritaire bien que légitime ne doit pas servir de prétexte pour éroder des droits acquis de longue lutte. Il est compréhensible que le gouvernement veuille sécuriser les régions affectées par les attaques terroristes, mais les restrictions généralisées, notamment sur les droits de grève et la liberté d’expression, ne doivent pas être utilisées de manière opportuniste pour limiter les droits fondamentaux des citoyens.


Des mesures ciblées, limitées aux régions touchées, seraient plus appropriées. Par ailleurs, un dialogue national sur les stratégies de sécurité et les droits civils/humains pourrait contribuer à restaurer la confiance entre les autorités et la population.


Des détentions arbitraires et des répressions violentes


Le cas emblématique de Reckya Madougou, figure de l'opposition détenue depuis 2021, illustre un autre aspect sombre de la répression des voix dissidentes. Malgré la reconnaissance par le Groupe de travail de l'ONU que son emprisonnement est arbitraire, l'ancienne Ministre Garde des sceaux, Reckya Madougou demeure en détention. Cet acharnement judiciaire contre une figure politique montre l’utilisation abusive de la justice pour réduire au silence les opposants. Ce phénomène n’est pas isolé et plusieurs autres personnalités critiques engagées contre la politique du gouvernement ont fait face à des détentions prolongées ou à des poursuites judiciaires basées sur des accusations douteuses. Tout ceci affaiblit la démocratie béninoise et alimente la méfiance envers les institutions judiciaires. La répression des opposants est une menace directe à la pluralité politique et à la liberté d’expression. Les actions des forces de l’ordre parfois excessives accentuent ce climat de peur, de menace et d’injustice. 


En septembre 2023, Martin Hounga, âgé de seulement 18 ans a perdu la vie dans une opération conduite par la police républicaine à Hêvié (un arrondissement de la commune d'Abomey-calavi). Dans ce dossier où ma police est accusée de tuerie, l'absence de sanctions immédiates et transparentes laisse craindre une impunité grandissante.


En tout état de cause, il urge que l’Etat béninois respecte les décisions des organismes internationaux, comme celles du Groupe de travail de l’ONU et libérer les prisonniers politiques. Une révision des procédures judiciaires pour garantir l’indépendance des Cours et tribunaux est également nécessaire afin de renforcer la confiance du public dans l’impartialité de la justice.



Droits des femmes : une avancée significative, mais timide


Le droit des femmes au Bénin progresse timidement. La légalisation de l’avortement en 2021, saluée par les défenseurs des droits humains a vu des avancées concrètes cette année avec l’application des premières mesures. Cependant, des violations subsistent. Le cas des femmes confinées dans un hôpital pour non-paiement de frais médicaux révèle que les droits économiques et sociaux des femmes sont encore bafoués. Il s’agit d’une atteinte grave à leur dignité humaine. Il aura fallu l’intervention des services sociaux pour obtenir leur libération.


Si l’avancée sur l’avortement est positive dans une certaine mesure, d'autres secteurs des droits des femmes nécessitent encore des réformes urgentes. Les questions économiques et sociales telles que l'accès aux soins et la protection des femmes économiquement vulnérables doivent être priorisées pour garantir une égalité réelle. Le gouvernement doit aller au-delà des réformes légales et renforcer les mécanismes de protection sociale pour les femmes, notamment dans le secteur de la santé. Des programmes de sensibilisation pour informer les femmes sur leurs droits, ainsi qu’un accès gratuit ou subventionné à certains soins de santé essentiels devraient être mis en place.


Expulsions forcées : la double peine des populations vulnérables


En marge des atteintes à la liberté d’expression, les expulsions forcées, particulièrement dans les zones touristiques, révèlent une autre forme de violation des droits humains. Les populations de Cotonou et celles de Ouidah déplacées pour faire place à des projets de développement continuent de réclamer une indemnisation juste et équitable. Ces expulsions, souvent effectuées sans préavis, ni compensation adéquate, contreviennent au droit international et aux lois béninoises. Les autorités doivent cesser de sacrifier les droits des citoyens sur l’autel du développement économique. Si le développement économique et touristique est nécessaire pour la croissance du pays au sens large du terme, il ne doit pas se faire au détriment des droits fondamentaux des citoyens, notamment le droit au logement. Les expulsions forcées doivent respecter des normes de justice sociale.


Le gouvernement doit revoir ses projets de développement en tenant compte des droits des populations affectées. Cela inclut l’offre d’alternatives de relogement, une compensation juste et un préavis suffisant. Un cadre légal plus rigoureux doit être mis en place pour protéger les droits des populations face aux grands projets de développement.



Vers une réforme nécessaire


En tant que nation, le Bénin doit se réengager à respecter les droits fondamentaux de tous ses citoyens, sans exception. Il en va de la crédibilité du pays sur la scène internationale et du bien-être de sa population. Des réformes urgentes s'imposent !


 Premièrement, la révision de la Loi portant Code du numérique est indispensable pour garantir une véritable liberté de la presse. La définition des « fausses informations » doit être clarifiée pour éviter toute instrumentalisation politique.


Deuxièmement, la justice béninoise doit renforcer son indépendance et garantir des procès équitables, particulièrement pour les opposants politiques.



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